Crime d'indifférence

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Ce concept apparemment souvent utilisé par André Glucksman m'a interpellée hier, pendant un portrait de son fils dans Le Supplément.

Je me méfie de lui, de Bernard-Henri Lévy, et de ces penseurs qui semblent s'engager sans dégager pour autant une quelconque pureté d'âme, ou ne serait-ce qu'un brin de passion humaine, fragile, mais sincère. BHL utilise-t-il le pouvoir de l'image pour servir ses causes ou ses causes pour servir son image? Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse, tant il semble à la fois peu réfléchi et si calculateur dans ses actions.

Mais ce concept de crime d'indifférence, qu'il semble partager avec André Glucksman, m'intéresse.

Dans quelle mesure commettons-nous ce crime? Ne sommes-nous pas perpétuellement en train de le commettre, envers et malgré tout, même lorsque l'on essaie de contribuer au soulagement de la souffrance des autres?

Je me suis souvent demandé comment on pouvait continuer à vivre normalement, confortablement, au milieu de la misère des autres.

Le soir, on dîne devant des images d'atrocités en Syrie. On accumule chez soi des montagnes de possessions pendant que de l'autre côté du globe, d'autres trient dans les décharges. On voyage en Inde au milieu des mendiants. On n'a jamais été plus informés et plus conscients, sans doute, de l'ampleur de la souffrance qui nous entoure, et pourtant 99% d'entre nous ne font rien, ou pas grand-chose.

Sommes-nous indifférents?

On s'attriste pourtant, on secoue la tête, et même on insulte, parfois. On sent, comme l'a si bien exprimé Soeur Emmanuelle, comme une épée qui se plante au coeur de soi. Mais on n'agit pas, concrètement. Plutôt que d'indifférence, il faudrait parler de non-assistance à autrui. Est-ce du défaitisme? De la lâcheté?

Suffit-il de se rassurer en se disant qu'on ne participe pas aux abominations que l'on nous montre, en se disant qu'on est honnête, qu'on fait bien son travail, qu'on prend soin de ses proches?

Cela suffit-il pour ne pas commettre le crime de non-assistance?

J'admire tellement ceux qui se sont entièrement dévoué aux autres, renonçant à eux-mêmes jusqu'à risquer leur propre vie. Je ne sais pas où on peut trouver cette force. Moi, je me sens si faible, si minuscule, si effrayée.

Si méfiante aussi.

Le monde politique semble affreusement sale, les associations humanitaires sont suspectées de détournements de fonds, ceux qui mendient au coin de la rue feraient partie de réseaux qui les exploitent...

Bien sûr, cela ne justifie pas de rester inactif, mais provoque un découragement qui nourrit la tentation égoïste du confort. C'est tellement plus facile de trouver des excuses, de se dire que l'on n'en fera jamais assez.

Malheureusement, c'est le même sentiment qui doit mener à des génocides, à l'esclavage, et à la perversité quotidienne.

Il faudrait non seulement nuire à la bêtise, mais aussi et surtout à la lâcheté.

André Glucksmann

André Glucksmann

Publié dans La question du mal

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