Douze tonnes de tristesse et de fatigue

Publié le par Clémence Lorient

Douze tonnes de tristesse et de fatigue

Un mois que je n'ai rien posté sur ce blog. 

Mais aujourd'hui il faut écrire. 

Car aujourd'hui douze personnes ont été brutalement tuées à Paris et je me sens tellement, tellement triste et fatiguée de tout ça, de la violence, de la folie, de la bêtise; je suis fatiguée du flou qui entoure ce genre d'acte visiblement très professionnel, qui n'a rien à voir avec un fou poignardant des policiers, et qui pourtant répond à une même force lointaine et obscure, et salit cette phrase présente dans les prières des Musulmans: Allahu Akbar

Encore une fois, ceux qui ont filmé la scène nous montrent des meurtriers criant cette phrase; elle résonne alors comme une menace, associant l'islam à une barbarie inquiétante, qui envahirait notre empire occidental déjà en déclin.  

J'aimerais vivre dans un monde où cette phrase serait perçue dans toute la sagesse qu'on peut lui donner. 

Allah, du nom qui est donné à Dieu dans l'Islam, est plus grand, en effet, que la bassesse de ceux qui tuent, conduisant à la douleur et à la haine. 

Allah est plus grand que les poussières que nous sommes et cela devrait pousser à l'humilité, à l'écoute et à la prudence, non pas à la certitude aveugle d'être dans la vérité. 

Allah est plus grand, et c'est à lui seul de juger les hommes s'ils ont profané le sacré. 

Allah est plus grand, comme un être qui nous domine mais qui nous invite aussi à s'élever vers Lui en faisant preuve tout d'abord de miséricorde. Car le Coran commence ainsi: 

 

 

1. Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux .

2. Louange à Allah, Seigneur de l'univers.

3. Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,

4. Maître du Jour de la rétribution.

5. C'est Toi [Seul] que nous adorons, et c'est Toi [Seul] dont nous implorons secours.

6. Guide-nous dans le droit chemin,

7. le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés .

Le Coran, Sourate 1, Versets 1-7

Et ils doivent encourir Sa colère, ceux qui utilisent le Coran pour manipuler, pour abrutir, pour justifier des actes ignobles et injustifiables. 

Et ils sont égarés, ceux qui suivent ces manipulateurs abjects, et leur obéissent sans parvernir à penser par eux-mêmes de manière claire. 

Au XXIème siècle, le Coran, comme les autres livres sacrés, ou sources de spiritualité, ne devrait plus pouvoir être interprété sans intelligence ni humanité. Il ne devrait être lu qu'à la lumière de l'histoire, de l'herméneutique et de la linguistique, pour éclairer encore son caractère sacré et miraculeux, et pour en faire l'une des sources d'élévation qui conviennent à notre époque. 

C'est ainsi que l'obscurantisme grignotant les cerveaux à des fins de pouvoir pourra être saboté au coeur de ses premiers rouages. 

Mais je voudrais aussi vivre dans un monde où l'on cherche à élever les esprits plutôt qu'à nourrir avec facilité des fantasmes xénophobes et nauséabonds, afin de faire au mieux pour vivre ensemble, dans des différences qui peuvent créer une incomparable richesse de réflexion.

En France se développe un malaise fait de méfiance et de rancoeur, créant une pourriture propice à la semence d'idées radicales, vengeresses et meurtrières. 

Il y aura toujours des fous, des monstres, des meurtriers, et des marionnettistes pour jouer avec ces pantins, en assouvissant leur soif de violence et de radicalisme. Il sera toujours aisé au manipulateur d'aller cueillir ces esprits perdus, monstrueux ou faibles pour leur donner l'illusion d'un idéal rassurant, avant d'en faire les esclaves d'ambitions narcissiques et perverses. En particulier dans un monde où chacun peut communiquer avec n'importe qui. 

Mais il reste toujours possible aussi - bien que difficile - de favoriser l'intelligence, la nuance, le questionnement, et le dialogue, afin de montrer une autre voie à ceux qui peuvent encore la prendre. 

Et puis, "on ne se bat pas dans l'espoir du succès". L'important, c'est de ne pactiser ni avec le Mensonge, ni avec les Compromis, ni avec les Préjugés, ni avec la Sottise, ni avec les Lâchetés. Bien des médias, et bien des personnalités politiques, et bien des Français, de toutes origines et de toutes religions, devraient garder cela en tête chaque jour.

Je n'ai jamais lu Charlie Hebdo. L'événement me choque et m'attriste, car il s'agit de douze vies humaines, mais sans doute ne puis-je pas ressentir toute la peine de ceux qui apprécient ce journal, se reconnaissent dans son humour, ou partagent les mêmes convictions journalistiques. Il m'a toujours semblé que leur travail était le fruit d'une révolte, et je me sens moi-même souvent révoltée, en particulier aujourd'hui. Je ne possède cependant pas ce degré d'humour capable de se nourrir - il me semble - de tristesse, d'indignation, et sans doute parfois de ressentiment. Je ne parviens à répondre à la gravité que par la gravité. Ainsi cet article paraîtra-t-il sans doute froid et distant à ceux qui prennent cet attentat en plein coeur. 

Il est vrai que je le vis aussi comme un symbole: ces morts, ce ne sont pas seulement douze personnes dont on ne pourra plus jamais voir le regard, dont on ne pourra plus jamais entendre les paroles, ou lire les articles, pour ceux qui en rédigeaient; c'est la liberté d'expression dans toute sa radicalité, à laquelle s'est attaqué le fanatisme dans son refus violent d'entendre des voix différentes de la sienne.

Bien sûr, ce symbole a été tout calculé par ceux qui ont préparé cet attentat. J'espère seulement qu'il éveillera les consciences dans le bon sens, pour que toutes ces atrocités cessent; car éveiller les consciences était proche, je suppose, de l'intention première des victimes, derrière leur masque diogènesque. 

 

Publié dans La question du mal

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