Un chant dans une nuit sans air...
Voilà ce que je devrais faire : écrire quand je sens que l’écriture vient, qu’importe le moment, qu’importent les tâches à terminer, qu’importe la fatigue. Ecrire ne serait-ce que quelques lignes, ne serait-ce que sur l’écriture elle-même.
Je viens d’apprendre grâce à La Grande Librairie l’existence d’un poète, Gaston Miron, qui a réédité cinq fois le même recueil de poèmes, L’Homme rapaillé. Je me retrouve tout à fait dans cette obsession. Jusqu’ici, j’avais toujours considéré que la publication d’une œuvre signifiait que l’auteur la considérait comme achevée, autrement dit réussie. Or je crois que je ne me sentirai jamais capable de considérer une chose que j’aurai écrite comme réussie. C’est l’une des raisons qui m’empêchent d’oser écrire et travailler à composer un livre, c’est-à-dire une unité, un être de mots dont on accouche et que l’on se permet de montrer au monde.
Je ne fais qu’accumuler les désirs de livre et les avortements, sans donner naissance. Sans doute devrais-je donner sa chance au hasard de mes mains, comme je la donnerais au hasard de mon ventre. Mais un enfant se conçoit à deux ; dans l’écriture, on procrée seul. L’angoisse ne peut qu’être paralysante. Le travail à fournir également, bien sûr : au fond, je ne suis pas une bosseuse, ce que j’aime c’est rêvasser, contempler, me perdre dans le brouillard de mes sensations et le chaos de mes pensées, sans but ni effort, pour le simple plaisir de me laisser aller, de me laisser bercer.
Il faut donc, sans doute, que je commence aussi par cela dans l’écriture. Ne pas en attendre la naissance d’un être digne d’être aimé, mais simplement le plaisir des mots dans l’instant. Peut-être qu’alors j’écrirai de plus en plus souvent, deviendrai de plus en plus créative, et trouverai finalement en moi les ressources nécessaires pour devenir une artisante du langage, travaillant chaque jour à la composition d’un chant qui puisse résonner dans une âme autre que la mienne.
Il faut se dire qu’aucun chant n’est parfait. Certes, il y a Flaubert, il y a Baudelaire, il y a Racine. Mais d’autres ont écrit après eux, car ils n’ont pas tout dit. Et au fond, pourquoi écrit-on ? Parce qu’on en a besoin. Tout le reste est sans importance. Le jugement des autres devrait être sans importance.
Si tu oses écrire, tu exposes le cœur même de ton être aux blessures. Ecris quand même.
En vérité, c’est une histoire entre le Verbe et toi, cela n’a jamais été entre eux et toi.
Bien sûr, mon chant n’aura peut-être rien de beau. Il ne peut qu’être limité par une intelligence qui perçoit d’ailleurs sa propre médiocrité. Si j’aime jouir de la beauté sous toutes ses formes, je ne prétends pas être capable d’en faire éclore. Je ne demande qu’à fait entendre « un chant dans une nuit sans air/ …Un chant, comme un écho, tout vif / Enterré là, sous le massif… / Horreur !! – Horreur pourquoi ? »
Un chant parmi d’autres, un humble coassement, un « quoi ?» qui se répète comme un questionnement infini et quelque peu grossier, naissant du simple besoin de signaler une présence.
Un chant spontané, à reprendre et à moduler sans cesse, offert à qui veut l’entendre.
Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
... Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif...
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre...
— Un crapaud ! — Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue... — Horreur ! —
... Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière...
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
...........................................................................
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.