Le viol

Publié le

C'était lors d'un dîner au restaurant, avec toute l'équipe du supermarché.

Pour moi, il s'agissait d'un job d'été; j'étais étudiante. Pendant deux mois, j'ai aimé observer ce nouveau petit théâtre humain. Je faisais partie de l'envers du décor: la mise en rayon.

Ce dîner rassemblait toute la troupe: caissières, gérant, livreurs...Celui dont j'ai oublié le nom, mais pas le discours, faisait partie de la sécurité. Je me trouvais assise assez loin de lui. Serais-je intervenue si j'avais été placée plus près? Je ne crois pas. En fait, je n'aurais pas su quoi dire, et si j'écris cet article, c'est justement parce que j'ai besoin de trouver une répartie venant se substituer à la réaction de violence pure qui me prend, quand je repense à ce qu'il a osé affirmer.

Tout ce qui me vient, ce sont des insultes, des coups et des crachats.

Que peut-on répondre d'autre à quelqu'un qui assène à tout son auditoire, avec une assurance lui faisant hausser la voix:

" Mais de toutes façons, les femmes qui se font violer, au fond elles sont contentes. Parce qu'en fait, franchement, c'est un fantasme le viol chez les femmes!"

Je l'ai regardé sans rien dire, comme si je ne pouvais pas croire que l'on puisse balancer ce genre de discours au milieu d'une quarantaine de personnes. Bien souvent, au lieu de haïr les gens ou de les mépriser, je commence par me dire que quelque chose m'a échappé, que l'erreur vient de moi. Il me semble plus difficile d'accepter que j'ai affaire à des gens qui sont ignorants ou mauvais d'un façon aussi désespérante.

Mais depuis, quand je repense à ces mots, c'est la haine qui me vient.

J'en viendrais presque à souhaiter qu'un jour, la soeur, la femme ou la fille de cet abruti soit violée devant ses yeux. Qu'il me dise alors s'il l'a vue prendre du plaisir, s'il a vu dans son regard la satisfaction d'un fantasme assouvi!

Sait-il au juste ce qu'est un fantasme? Est-il si proche de l'animal qu'il n'a pas conscience que le désir est inextricablement lié à ce terme?

Le viol. Faut-il que ce genre d'individu le vive pour comprendre de quoi il s'agit?

Le viol, Magritte semble s'en moquer, mais c'est pour mieux montrer toute l'horreur de cet acte trop souvent minimisé. Cette femme grotesque sourit-elle? Ou bien est-ce le fait de remplacer son visage par son corps, de ne voir en elle qu'un tronc sans âme, qui donne cette impression?

René Magritte, Le Viol (illustration des Chants deMaldoror)

René Magritte, Le Viol (illustration des Chants deMaldoror)

Oui, cette oeuvre peut paraître légère, amusante, avec ce regard ahuri figuré par les seins, ce nez tout juste suggéré par le creux du nombril, d'une simplicité enfantine, et surtout ce sourire du pubis, goguenard. Et puis le dessin de Magritte, après tout, est un jeu, une astuce...Et pourtant on ne parvient que difficilement à sourire: on sent que derrière ces amusements, il y a une profonde angoisse. Ces yeux, ce sont des yeux exorbités; ce nez, presque inexistant, peine à respirer; cette bouche emplie de poils pubiens suffoque.

Le rire prend bien souvent racine dans une certaine cruauté. Cette créature est un clown triste, un pantin qu'on malmène pour le plaisir des autres.

Le viol, c'est la déshumanisation. Celle de la femme, dont le visage et par conséquent l'identité disparaissent derrière son corps purement sexualisé. Celle de l'homme, qui n'est plus que pulsion, un pénis pénétrant un vagin, à l'instar de cette oeuvre observée avec davantage de recul. Magritte semble alors faire fusionner le masculin et le féminin. Serait-ce pour souligner que l'objet de tout viol reste un alter ego?

Le viol, c'est l'un des actes qui me révulse le plus. Mais celui des fous, celui des pires psychopathes, j'arrive encore à le pardonner. Celui par contre des lâches qui se laissent entraîner par des ordures et rassurer par des discours infects, ce viol-là...J'ai bien du mal à considérer comme des alter ego ceux qui l'ont fait subir.

Publié dans La question du mal, Art

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article