Le Présentateur

Publié le par Clémence Lorient

C'est tout un défi que de faire le portrait de cet homme, car il s'agit de l'anti-personnage par excellence. Très connu, et pourtant tellement peu, il est toujours resté si discret, et si peu expressif, qu'il n'a existé que par sa capacité à mettre en avant les autres. Ce fut le Présentateur au sens premier du terme, car contrairement à la grande majorité - voir la totalité - de ses collègues de télévision ou de radio, il n'a jamais fait le show lui-même; il a toujours laissé ce rôle à ses invités ou à ses chroniqueurs. Il se contentait ainsi de présenter sur un plateau les différents mets de son banquet télévisuel, veillant scrupuleusement sans doute à sa juste composition, pour que l'association des différents éléments crée l'émulation nécessaire au plaisir du spectateur. Au fond, c'est peut-être là l'un des secrets de sa longévité, et de l'incroyable jeunesse de son visage, à 69 ans: il ne s'est jamais épuisé pour attirer la lumière sur lui-même.

Et c'est justement en cela qu'il m'intéresse. Cette attitude de retrait semble si contraire au grand mouvement de la foule contemporaine, qui se presse pour monter sur l'estrade, et pour prendre sur elle cette infinie multitude de regards lui procurant la sensation grisante d'avoir réellement existé, d'avoir laissé une trace dans le chemin du monde, et de ne pas avoir vécu en vain! Ce mouvement insensé, depuis quelques années, s'est à ce point accentué que certains vont jusqu'à se mettre en scène dans leur costume le plus grotesque pour recueillir les regards des autres, ou pour ne pas en perdre le reflet. Lui, de son côté, ne semble pas même y avoir songé, donnant l'impression de faire simplement le travail qui lui serait tombé dans les mains par hasard, en y trouvant toutefois une véritable source de satisfaction: celle d'observer d'un angle privilégié ces étranges créatures se démenant sur l'estrade.

On a souvent admiré son imperturbable élégance. Mais ces costumes taillés au millimètre, tombant impeccablement sur sa silhouette fine, ne sont-ils pas une autre manière d'échapper à l'attention des autres? Rien qui ne dépasse, rien qui ne dérange, une perfection qui laisse glisser le regard vers ceux qui pourraient lui donner matière à se divertir, que ce soit par leur sensualité, leur créativité, ou leur mauvais goût. On lui a reproché, en revanche, sa frustrante neutralité. Jamais un éclat, jamais une émotion, comme s'il incarnait l'inhibition dans un métier où elle doit constituer le plus lourd des handicaps. Ses fous rires et ses larmes étranglées, ses indignations et ses élans d'enthousiasme se comptent sur les doigts d'une seule main, en trente ans de carrière. Bien sûr, c'est ce qui les rend d'autant plus précieux et touchants, puisque la sincérité de ces moments ne peut être discutée, et donne à voir une pureté que l'on perçoit de moins en moins dans les médias. Mais on peut comprendre que cette distance, conservée jusqu'au bout, ait pu en décevoir certains.

Pour lui, il s'agit de rester libre. "Je me promène", résume-t-il.

Et c'est bien l'image qu'il donne de lui-même, celle d'un dandy anglais en promenade dans la jungle médiatique, comme s'il n'avait besoin de fournir aucun effort pour trouver son chemin, ou pour que ses Derbies ne soient pas tâchées de boue. Tout en observant avec candeur la faune et la flore, et tout en échangeant aimablement avec les indigènes, il a toujours l'air d'être ailleurs, l'expression de son visage prenant parfois des apparences inadéquates et décalées. Des milliers d'idées tournent dans son esprit, des pensées qui l'empêchent parfois de se concentrer sur ce qui l'entoure, et de répondre instantanément, avec les mots justes, aux plaisanteries ou aux invectives. Mais peu de choses, cependant, semblent pouvoir l'affecter profondément, et quand un paysage exploré l'ennuie, il retourne simplement et sans regret vers des campagnes plus familières et plus cosy.

Je crois cependant que l'on se trompe, lorsque l'on voit en lui un être sculpté de creux, indifférent et détaché. J'aurais plutôt tendance à penser que dans un monde qui exige de l'apparent et du palpable, ce Présentateur n'est qu'intériorité.

Michel Denisot, à Cannes.

Michel Denisot, à Cannes.

Publié dans Portraits

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